Démarche artistique

Mon parcours artistique en photographie est marqué en profondeur par une quête intime et introspective, dans laquelle le boitier photo devient à la fois un outil de découverte et de guérison.

Le point de départ de cette aventure, symbolisé par le « sauvetage »d'un appareil photo abandonné dans le jardin de mes parents est en lui-même une métaphore de ma démarche : une volonté de récupérer et de redonner vie à des instants, des visages et à ma propre identité. La photo est devenue un vecteur d'expression essentiel, alors que ma timidité m'empêchait d'établir des liens profonds avec autrui. En devenant invisible aux yeux des autres, j'ai cultivé une capacité unique à observer et à capter des détails invisibles au commun des mortels , cherchant à comprendre l'humain, ce qu'il montre et ce qu'il cache. L'observatrice silencieuse que je suis trouve un écho dans la manière dont j'appréhende la photographie, comme un miroir identitaire. 

Ma démarche repose sur une dualité entre mon enveloppe corporelle au féminin et mon mode de fonctionnement que je ressens comme masculin. Cette dissonance est un thème complexe qui irrigue mon œuvre, qui se reflète dans ma recherche artistique et dans la manière dont j'aborde les sujets. Je m'interroge sur la nature humaine, sur les personnes qui m'entourent et sur les lieux que je rencontre, en les confrontant au passage du temps. Je me définis comme une photographe animalière, dont le sujet d'étude est l'espèce humaine. J'étudie les humains non seulement comme des sujets à photographier, mais aussi comme des êtres en perpétuelle interaction avec leur environnement et façonnés par des siècles de conflits et de solutions culturelles. Mes études en sciences juridiques, qui m'ont permis de mieux comprendre les dynamiques sociales et ont enrichi une vision large, sociologique, voire quasi-anthropologique de mon travail. 

Le judo et le zen se sont faufilé dans mon parcours et ont joué un rôle central dans la formation de mon regard. La philosophie zen « ici et maintenant » transparaît dans ma manière d'être à l'affût de la parfaite image au moment où elle se présente en un seul geste.. Cette faculté à saisir l'instant présent avec une grande spontanéité et une concentration totale influence clairement ma pratique, me permettant de capturer des images qui semblent suspendues dans le temps, imprégnées de l'immédiateté du moment vécu. 

Autodidacte, la photographie s'est enchevêtrée à ma vie. Lors de mes déambulations photographiques, je m’attarde, j’observe, et je capture ce qui se déroule autour de moi. Certaines rencontres m'ont cependant appris que certains préfèrent rester invisibles, un paradoxe qui m’a orientée vers la photographie de spectacles – théâtre, danse, opéra – où, à l'inverse, tout est prédéterminé et orchestré pour être vu., et, où l'imprévu de la scène exige une attention particulière et une grande réactivité.  Comme le photographe est le premier spectateur, il greffe son art sur celui des autres.
Je suis à la fois spectatrice et créatrice, capturant des moments chorégraphiés tout en naviguant dans l'inconnu. Ce va-et-vient entre contrôle et imprévu, entre réalité et représentation, est un thème récurrent dans ma pratique artistique. Le théâtre est l'endroit où le « je » de l'humain devient « autre «  par l'incarnation d'un personnage tout en prenant la forme d'un jeu. Est-ce l'humain du comédien ou bien est-ce le personnage qui reflète une part de moi-même ? 

Lors de deux voyages au Liban en 1992 et en 2012, voir des parpaings soutenir l'édifice d'un temple antique, découvrir une voie antique se terminant en une rue contemporaine, passer des pavés au bitume m'ont posé question et ont marqué un tournant dans ma réflexion sur le temps et la trace laissée par la photographie, comme mon passage au Musée Albert Kahn (Boulogne-Billancourt). Le travail de prises de vue dans des lieux marqués par l'histoire m'a permis d'explorer plus en profondeur mon questionnement sur le passage du temps et sur ce qu'il efface ou préserve. L'idée de revisiter des lieux photographiés un siècle auparavant souligne mon intérêt pour la mémoire et la transmission à travers les générations. 

En résumé, mon parcours témoigne d’un dialogue constant entre l’intime et le collectif, entre le temps qui passe et la trace qu’il laisse, entre la scène et le spectateur. J'ai su transformer mes propres interrogations et mes fragilités en force artistique, en créant un espace où la photographie devient à la fois un art et un moyen de mieux comprendre ma propre humanité et celle des autres.



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